L'impact de l'épidémie de Covid-19 sur l'exécution des contrats soumis au droit chinois
En droit chinois, l'épidémie de Covid-19 est susceptible de constituer un cas de force majeure ou une cause d'imprévision
1. Notifications de la Cour populaire suprême - Les litiges contractuels liés à l'épidémie de Covid-19 ont fait l'objet de trois Notifications de la Cour populaire suprême chinoise :
- la première [1] appréhende l'épidémie de Covid-19 en tant que cas de force majeure et cause d'imprévision et édicte certaines règles en matière de litiges de travail ;
- la seconde [2] détaille le droit applicable aux contrats de vente, de location et de prestation de services, ainsi qu'aux litiges financiers et de faillite ;
- la troisième [3] s'intéresse aux litiges internationaux impliquant une garantie indépendante, ainsi qu'aux litiges de transport et maritimes.
Ces règles constituent généralement une application souple du droit commun des contrats et sont favorables aux débiteurs en difficulté.
2. Plan - L'épidémie de Covid-19 peut constituer un cas de force majeure (I) ou une cause d'imprévision (II).
I - L'épidémie de Covid-19 en tant que cas de force majeure
3. Définition - En droit chinois, la force majeure se définit comme « une circonstance objective imprévisible, inévitable et insurmontable » [4].
4. Conditions - Plusieurs juridictions chinoises ont déjà jugé que l'épidémie de Covid-19 constituait un cas de force majeure [5]. Cette qualification ne sera toutefois pas automatique.
L'exigence d'imprévisibilité requiert de déterminer si, au jour de conclusion du contrat, il était prévisible que l'épidémie puisse en empêcher l'exécution.
Ce critère est satisfait de manière certaine pour les contrats conclus avant que les premiers cas de Covid-19 n'aient été signalés (soit le 31 décembre 2019).
Quant aux autres contrats, il faut tenir compte de leur date exacte de conclusion et du lieu de leur exécution, ce qui soulève un certain nombre d'incertitudes. Pour les contrats s'exécutant en Chine, faut-il par exemple retenir la date à laquelle il a été confirmé que le virus se transmettait d'humain à humain (20 janvier 2020) ou plutôt celle du début de quarantaine à Wuhan (22 janvier 2020) ? Pour les contrats s'exécutant hors de Chine, la date à laquelle l'OMS a déclaré que l'épidémie était une urgence de santé publique internationale (30 janvier 2020) ou une pandémie (11 mars 2020), ou lorsque les autorités du pays concerné ont commencé à adopter des mesures restrictives ?
Enfin, les exigences d'inévitabilité et d'insurmontabilité requièrent d'établir qu'aucune mesure n'aurait pu permettre d'éviter l'impact sur l'exécution du contrat ou d'y remédier. L'appréciation est essentiellement factuelle.
Pour certains contrats, il convient de se référer aux Notifications précitées de la Cour populaire suprême, lesquelles interprètent de manière souple la notion d'insurmontabilité. Le paragraphe I, 5, de la Deuxième notification prévoit par exemple que la responsabilité du locataire ne peut être engagée pour un retard de paiement si celui-ci a des difficultés de trésorerie ou si son revenu a baissé de manière manifeste en raison de l'épidémie de Covid-19 ou des mesures y étant liées.
5. Validité des clauses contractuelles de force majeure - La force majeure ne peut être exclue contractuellement [6].
Par conséquent, une clause prévoyant qu'une épidémie et ses conséquences ne constituent pas un cas de force majeure ne saurait être invoquée et doit être déclarée nulle.
En revanche, le clauses assouplissant les conditions de la force majeure sont valides, mais sont soumises au régime des clauses élusives de responsabilité [7].
6. Droit de suspension - Si les conditions de la force majeure sont réunies, une partie peut suspendre l'exécution de ses obligations sans engager sa responsabilité [8].
La suspension doit toutefois être strictement limitée aux obligations ne pouvant être exécutées [9] ainsi qu'à la période où elles ne peuvent l'être : toute suspension abusive pourra être contestée.
Par ailleurs, la suspension doit être notifiée en temps utile au cocontractant et l'existence de la force majeure doit lui être prouvée dans un délai raisonnable [10].
A défaut, la responsabilité de la partie ayant suspendu ses obligations pourra être engagée si un préjudice a été causé à son cocontractant, par exemple parce que celui-ci a continué à exécuter le contrat sans contrepartie ou n'a pas pu prendre à temps les mesures adéquates.
7. Droit de résiliation par notification - Enfin, si la force majeure rend impossible la réalisation de l'objectif du contrat, toute partie est fondée à résilier le contrat par notification à son cocontractant [11].
8. Valeur des certificats de force majeure - Le China Council for the Promotion of International Trade (CCPIT) a fourni des certificats de force majeure à certaines entreprises.
Leur valeur n'est qu'indicative : les juridictions chinoises ne sont donc pas liées par la qualification retenue.
II - L'épidémie de Covid-19 en tant que cause d'imprévision
9. Fondement légal - En droit chinois, l'imprévision est régie par l’article 26 des Deuxièmes interprétations de la Cour populaire suprême relatives à la Loi sur les contrats [12] :
« si après la formation du contrat intervient un changement substantiel de circonstances objectives, imprévisible pour les parties au jour de conclusion du contrat, n’étant pas causé par une force majeure et ne relevant pas du risque commercial, et que la continuation de l’exécution du contrat serait manifestement inéquitable pour une partie ou ne permettrait pas la réalisation de l’objectif du contrat, les cours populaires doivent, sur saisine d’une partie tendant à modifier ou à résilier le contrat, décider de modifier ou de résilier le contrat suivant le principe d’équité et en tenant compte de la situation concrète de l’affaire [13] ».
10. Exposé des conditions - La réunion de cinq conditions est exigée :
- un changement substantiel de circonstances objectives ;
- imprévisible par les parties au jour de conclusion du contrat ;
- ne relevant pas de la force majeure ;
- ne relevant pas du risque commercial ;
- ayant pour conséquence une inéquité manifeste pour une partie ou l’impossibilité d’atteindre l’objectif du contrat (conditions alternatives).
11. Analyse des conditions - L'exigence d'imprévisibilité est appréciée de la même manière qu'en matière de force majeure.
En revanche, puisque la cause d'imprévision ne doit pas relever du risque commercial, elle peut être valablement exclue par une clause d'acceptation des risques [14]. Une clause prévoyant par exemple qu'une épidémie et ses conséquences n'ouvrent pas droit à révision du prix semble donc pouvoir être invoquée.
Par ailleurs, la force majeure exclut l'imprévision : une partie ne peut donc invoquer l'imprévision tout en suspendant l'exécution de ses obligations sur le fondement de la force majeure.
Enfin, une partie ne peut se borner à invoquer de simples difficultés d'exécution ou un résultat légèrement déficitaire : elle doit établir que le contrat est manifestement inéquitable ou que l'objectif de celui-ci ne peut plus être atteint, ce qui correspond à des standards élevés.
Il convient là encore de se référer au Notifications de la Cour populaire suprême. Le paragraphe I, 6, alinéa 2 de la Deuxième notification vise par exemple, en matière de bail commercial, l'hypothèse du locataire n'ayant plus de revenu ou ayant subi une baisse manifeste de celui-ci en raison de l'épidémie de Covid-19 ou des mesures y étant liées.
12. Droit de modification ou de résiliation - Lorsque les conditions de l'imprévision sont réunies, la partie subissant un préjudice peut saisir une juridiction afin d’obtenir la modification ou la résiliation du contrat.
Les juridictions chinoises doivent se prononcer en fonction de la situation concrète de l'affaire. Une action en modification sera donc plus susceptible de prospérer qu'une action en résiliation si le contrat est devenu manifestement inéquitable ; à l'inverse, cette dernière s'impose si l'objectif du contrat ne peut plus être atteint.
En aucun cas l'imprévision ne saurait fonder de résiliation par simple notification au cocontractant [15]. Une partie considérant que l'objectif du contrat ne peut plus être atteint a donc tout intérêt à se placer sur le terrain de la force majeure – si les conditions en sont réunies – afin de pouvoir procéder à une résiliation immédiate.
13. Droit de suspension ? - En principe, l'imprévision n'autorise pas la partie l'invoquant à suspendre l'exécution de ses obligations. Celle-ci doit donc continuer à respecter les termes du contrat en attendant la décision de la juridiction – étant rappelé qu'elle ne peut, durant cette période, refuser d'exécuter au motif que la cause d'imprévision constituerait également un cas de force majeure [16].
La rédaction de la Deuxième notification relative à l'épidémie de Covid-19 laisse néanmoins place au doute. Celle-ci prévoit que « postérieurement à la modification du contrat, les cours populaires ne doivent pas faire droit aux prétentions d'une partie qui soutiendrait encore que sa responsabilité doit être partiellement ou intégralement exclue [17] ». Une lecture a contrario impliquerait qu'une cour populaire puisse y faire droit pour la période antérieure...mais sur quel fondement ?
Enfin, afin de compenser cette éventuelle absence de suspension, une partie peut-elle requérir que la modification du contrat soit rétroactive et prenne effet au jour où le contrat est devenu manifestement inéquitable ? Rien ne semble l'interdire ; une telle solution pourrait avoir les faveurs des juridictions chinoises puisque, susceptible de corriger le déséquilibre passé, elle est conforme à l'esprit d'équité qui est au coeur du mécanisme d'imprévision.
Cette idée semble être corroborée par le paragraphe I, 2, de la Deuxième notification relative à l'épidémie de Covid-19 qui prévoit, en matière de contrats de vente, que « les cours populaires ne doivent pas faire droit aux prétentions d'une partie qui soutiendrait que la responsabilité du cocontractant doit être engagée alors que le contrat a déjà été modifié par des méthodes telles que l'ajustement du prix ou la modification du délai d'exécution, etc. [18] », ce qui suppose que la modification a pris effet rétroactivement.
14. Conclusion - La partie à un contrat soumis au droit chinois qui est dans l'impossibilité d'exécuter en raison de l'épidémie de Covid-19 peut, sur le fondement de la force majeure, suspendre ses obligations, voire résilier le contrat par notification.
Si le contrat est devenu manifestement inéquitable ou que son objectif ne peut plus être réalisé, elle peut, à la place, en demander judiciairement la modification ou la résiliation. Il n'est toutefois pas certain qu'elle puisse suspendre ses obligations en attendant la décision du juge ; requérir que la modification soit rétroactive semble constituer une solution alternative pertinente.
Il est impératif de consulter les Notifications de la Cour populaire suprême relative à l'épidémie de Covid-19, qui guideront les cours populaires dans l'application de ces mécanismes.
Le doit applicable n'étant pas parfaitement clair et la distinction entre force majeure et imprévision étant parfois ténue, on ne peut que recommander d'établir en amont une stratégie précise.
Auteur : Maître Louis Lacamp
Dernière mise à jour : 15 décembre 2020
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Notes :
[1] Notification de la Cour populaire suprême portant sur l'émission des « Opinions directrices relatives à certains problèmes dans le jugement adéquat des affaires civiles impliquant l'épidémie de nouveau coronavirus (I) », 16 avril 2020 (最高人民法院印发《关于依法妥善审理涉新冠肺炎疫情民事案件若干问题的指导意见(一)》的通知,2020年4月16日,法发[2020]12号), ci-après la « Première notification relative à l'épidémie de Covid-19 ». Ses dispositions portent également sur les dommages et intérêts punitifs, la suspension de la prescription, l'extension de certains délais de procédure, l'aide judiciaire, les mesures conservatoires et l'application uniforme de la loi.
[2] Notification de la Cour populaire suprême portant sur l'émission des « Opinions directrices relatives à certains problèmes dans le jugement adéquat des affaires civiles impliquant l'épidémie de nouveau coronavirus (II) », 15 mai 2020 (最高人民法院印发《关于依法妥善审理涉新冠肺炎疫情民事案件若干问题的指导意见(二)》的通知,2020年5月15日,法发[2020]17号), ci-après la « Deuxième notification relative à l'épidémie de Covid-19 ».
[3] Notification de la Cour populaire suprême portant sur l'émission des « Opinions directrices relatives à certains problèmes dans le jugement adéquat des affaires civiles impliquant l'épidémie de nouveau coronavirus (III) », 8 juin 2020 (最高人民法院印发《关于依法妥善审理涉新冠肺炎疫情民事案件若干问题的指导意见(三)》的通知,2020年6月8日,法发[2020]20号), ci-après la « Troisième notification relative à l'épidémie de Covid-19 ». Ses dispositions portent également sur l'extension de certains délais de procédure et la détermination de la loi applicable.
[4] Article 117, alinéa 2, de la Loi sur les contrats de la République populaire de Chine, du 15 mars 1999 (中华人民共和国合同法,1993年3月15日,主席令第15号), ci-après la « Loi sur les contrats » ; article 180, alinéa 2, des Dispositions générales sur le droit civil de la République populaire de Chine, du 15 mars 2017 (中华人民共和国民法总则,2017年3月15日,主席令第66号), ci-après les « Dispositions générales sur le droit civil ». En chinois: « 不能预见、不能避免并不能克服的客观情况 ».
[5] V. par exemple: cour intermédiaire de Lanzhou, 9 avril 2020 (兰州市中级人民法院,万某某、李某某房屋租赁合同纠纷二审民事判决书,2020年4月9日,[2020]甘01民终921号) ; cour intermédiaire de Leshan, 30 juin 2020 (乐山市中级人民法院,四川仁寿垒鑫建筑工程有限公司、沐川中医医院有限责任公司建设工程合同纠纷执行审查类执行裁定书,2020年6月30日,[2020]川11执复27号) ; cour intermédiaire de Yangzhou, 20 juillet 2020 (扬州市中级人民法院,谢玉霞与陆宝娟买卖合同纠纷执行裁定书,2020年7月20日,[2020]苏10执复102号).
[6] V. par exemple : cour intermédiaire de Canton, 26 octobre 2017 (广州市中级人民法院,中国人民财产保险股份有限公司东莞市分公司、中国物资储运广州公司保险人代位求偿权纠纷二审民事判决书,2017年 10月26日,[2017]粤01民终14456号).
[7] V. par exemple : cour intermédiaire de Zhangjiajie, 8 octobre 2014 (张家界市中级人民法院,谷玉仙、石自强与吕珍英房屋租赁合同纠纷一案二审民事判决书,2014年 10月8日,[2014]张中民一终字第114号).
[8] Article 117, alinéa 1, de la Loi sur les contrats ; article 180, alinéa 1, des Dispositions générales sur le droit civil.
[9] Article 117, alinéa 1, de la Loi sur les contrats.
[10] Article 118 de la Loi sur les contrats.
[11] Articles 94, (1), et 96 de la Loi sur les contrats.
[12] Interprétations de la Cour populaire suprême relatives à certains problèmes dans l’application de la « Loi sur les contrats de la République populaire de Chine » (II), 24 avril 2009 (最高人民法院关于适用《中华人民共和国合同法》若干问题的解释(二),2009年4月24日,法释[2009]5号).
[13] En chinois : « 合同成立以后客观情况发生了当事人在订立合同时无法预见的、非不可抗力造成的不属于商业风险的重大变化,继续履行合同对于一方当事人明显不公平或者不能实现合同目的,当事人请求人民法院变更或者解除合同的,人民法院应当根据公平原则,并结合案件的实际情况确定是否变更或者解除 ».
[14] V. par exemple : Cour populaire suprême, 28 octobre 2013 (最高人民法院,广东省电白建筑工程总公司与东莞市长安镇房地产开发公司建设工程施工合同纠纷申请再审民事裁定书,2013年10月28日,[2013]民申字第1099号).
[15] V. par exemple : Cour populaire suprême, 17 mars 2017 (最高人民法院,四川省攀化科技有限公司与攀钢集团有限公司合同纠纷申诉、申请民事裁定书,2017年3月17日,[2017]最高法民申27号).
[16] V. supra, paragraphe n°11.
[17] En chinois: « 合同依法变更后,当事人仍然主张部分或者全部免除责任的,人民法院不予支持 ».
[18] En chinois : « 已经通过调整价款、变更履行期限等方式变更合同,当事人请求对方承担违约责任的,人民法院不予支持 ».